Zazie dans le métro

En relisant Zazie dans le métro, ce chef d’œuvre de Raymond Queneau, je me suis aperçu que le langage de ce livre, en apparence très simple (parler populaire, orthographe phonétique), est en réalité d’une très grande complexité : mots rares ou savants, mots-valises forgés par Queneau lui-même, calembours parfois difficiles à saisir, nombreuses allusions littéraires (Homère, Pascal, Rabelais, Rimbaud, Apollinaire, Malraux, etc.)

Queneau s'adresse aux érudits…

Par ailleurs, la société de 1959 n’est pas la même que la nôtre et nombre de détails risquent de n’être pas compris par les lecteurs n’ayant pas connu cette période. Combien de personnes savent encore qui étaient les J3 ?

C’est pourquoi j’ai essayé de faire une liste des expressions qui demandent une explication. Elle n’est sûrement pas exhaustive.

Les numéros de page correspondent au texte du roman sur Internet :

http://www.ignaciodarnaude.com/textos_diversos/Queneau,Raymond,Zazie%20dans%20le%20metro(1959).pdf

Ils sont indiqués dans le bandeau en haut de la page.

Il y a malheureusement dans cette version plusieurs coquilles qui risquent d’égarer le lecteur.


p. 1 - « Dans le journal, on dit qu’il y a pas onze pour cent des appartements à Paris qui ont des salles de bains » : l’information était exacte en 1959, date de la parution du livre.

p. 2 - «  elle se pencha pour proférer cette pentasyllabe monophasée » : un (le mot est masculin) pentasyllabe est un vers composé de cinq syllabes. Je ne comprends pas « monophasée » qui est un terme technique employé uniquement en électricité. J’aurais plutôt attendu «  monophrasée », composée d’une seule phrase, mais il est difficile d’admettre qu’une coquille se soit glissée jusque dans les dernières éditions d’un livre aussi populaire.

p. 2 - « Natürlich, dit Jeanne Lalochère qui avait été occupée » : il s’agit bien sûr de l’occupation allemande pendant la seconde guerre mondiale. On devine aisément comment Jeanne Lalochère, qui avait la cuisse légère, avait été « occupée ».

p. 3 - « les employés aux pinces perforantes » : à l’époque il fallait faire composter son billet par un poinçonneur à l’entrée du quai (cf. le Poinçonneur des Lilas).

p. 3 - « Et, passant sur le plan de la cosubjectivité, il ajouta... » : la cosubjectivité est un terme philosophique trop savant pour que je puisse y comprendre quoi que ce soit.

p. 3 - « je l’ai lue dans les Mémoires du général Vermot » : l’almanach Vermot est l’archétype de l’humour populaire de bas étage (e.g. « comment vas-tu … yau de poêle »).

p. 3 - « [Charles] cherchait [...] une entrelardée à laquelle il puisse faire don des quarante-cinq cerises de son printemps » : une entrelardée, en parlant d’une femme, signifie « grassouillette » (familier, rare)

p. 3 - « Charles [...] pousse la seringue et fait tourner le moulin » : il me semble qu’à l’époque le démarreur des voitures était actionné par un bouton poussoir.

p. 4 - « Mais il a la parole coupée par une euréquation de son beau-frère » : euréquation, substantif forgé par Queneau à partir de l'exclamation « euréka ».

p. 4 - « mais maintenant c’est du passé, n’en parlons plus » : peut-être une allusion à la chanson Mon amant de Saint-Jean : « c’est du passé, n’en parlons plus »

p. 5 - « Non mais, fillette, dit Gabriel, qu’est-ce que tu t’imagines » : allusion à la chanson Si tu t’imagines, fillette, fillette dont les paroles sont de Queneau lui-même.

p. 6 - « [Charles] s’avança jusqu’au zinc en bois depuis l’occupation » : pendant l’occupation, les métaux non ferreux, tels l’étain (le « zinc » des bistrots est en réalité en étain) avaient été réquisitionnés par les Allemands. Cette formule est répétée plusieurs fois dans le roman.

p. 7 - « Ah ah, dit Gabriel avec satisfaction, du consommé.

N’egzagérons rien, dit doucement Marceline. » : Le consommé est un bouillon très réduit qui concentre les arômes. C’est donc une préparation plus raffinée que les vulgaires soupes ou potages.

p.7 - « Après le bouillon, il y avait du boudin noir avec des pommes savoyardes, et puis après du foie gras [...], et puis un entremets des plus sucrés » : les pommes savoyardes sont un plat à base de pommes de terre, de beurre, de poitrine fumée, et de plusieurs sortes de fromage. Ce repas est donc assez roboratif…

p. 8 - « Alors, déclara [Zazie] , je serai astronaute » : en 1959, date de la parution du roman, il n’y avait pas encore d’astronautes. Le premier fut Youri Gagarine, en 1961.

p. 8 - « Zazie lui demandait s’ils avaient la tévé » : à l’époque la télévision était encore peu répandue. En 1958 la France ne comptait qu’un million de postes.

p. 8 - « Non [je n’ai pas la télé], dit Gabriel. J’aime mieux le cinémascope, ajouta-t-il avec mauvaise foi » : le cinémascope est un procédé cinématographique qui permet de projeter des films sur écran large. Les premiers films en cinémascope datent de 1953, soit assez peu de temps avant la parution de Zazie.

P 8 - « il sifflota [...] quelques sonneries de l’ancien temps telles que l’extinction des feux, le salut au drapeau, caporal conconcon, etc. » : je n’ai pas trouvé à quel air faisait allusion le caporal conconcon. Un éminent professeur de faculté prétend qu’il s’agit de la Femme du Vidangeur. Mais si dans cette chanson paillarde il est bien question du « caporal trompette » et du « caporal clairon », l’air ne correspond pas à une sonnerie.

p. 11 - « En marchant un pied juste devant l’autre comme quand on tire à celui qui commencera » : Chaque joueur marche en direction de son adversaire. Il pose alternativement un pied devant l’autre, de telle sorte que le talon touche la pointe du pied précédent. Celui qui n’a plus assez de place pour poser son pied a perdu.

p. 12 - « Le cercle ricane avec un scepticisme déjà solidement encré » : « encré » n’est pas une coquille, il figure dans la dernière édition du roman.

p. 13 - « la factidiversialité » : mot inventé par Queneau = qui a rapport avec les faits divers.

p. 14 - « les Fridolins » : les Allemands (synonymes : « Fritz », « Chleuhs »,« Frisés », « Vert-de-gris », « Doryphores », etc. ). Ce mot n’est plus compris que par les plus anciens d’entre nous.

p. 15 - « [Marceline]:j’ai ma lessive sur le feu  » : en 1959, les machines à laver étaient rares et on lavait le linge dans des lessiveuses, récipients en fer galvanisé que l’on chauffait sur le fourneau.

p. 15 - « Il revient au problème concret et présent, à la liquette ninque, celle qu’il n’est pas si facile de laver » : Jeu de mots évident sur « hic et nunc ».

p. 15 - « le vulgue homme Pécusse » : Jeu de mots tout aussi évident avec vulgum pecus.

p. 15 - « un appel transvecte ses hésitations » : « transvecter », du latin transvecto qui signifie déplacer. Qualifié de rare, ce mot semble avoir été inventé par Queneau car je n’en n’ai pas trouvé d’autre occurrence dans la littérature.

p. 15 - « ils [les cordonniers] se mettent dans une vitrine pour qu’on les admire. Comme les remmailleuses de bas » : à l’époque, les bas de soie, mais également les bas nylon coûtaient cher. Lorsqu’une maille était filée, on ne jetait pas le bas comme aujourd’hui, on le faisait « stopper »par une remmailleuse. Ces remmailleuses tenaient souvent boutique dans des échoppes vitrées donnant sur la rue d’où les passants pouvaient les voir travailler.

p. 16 - « une marchande de ballons Lamoricière » : selon certains ce serait une allusion au film d’Albert Lamorisse Le Ballon rouge (1956). Je n’ai pas trouvé d’autre explication.

p. 16 - « une voix masculine prenant son fausset » : chacun connaît l’expression « une voix de fausset » mais n’en connaît pas toujours la signification. En musique chorale, « prendre le fausset » signifie utiliser le registre le plus aigu.

p. 17 - « Izont des bloudjinnzes, leurs surplus américains ? » : à l’époque du roman, les blue jeans n’étaient pas ce vêtement banal porté par tous. Voici ce qu’en dit Wikipedia, concernant les années 1950-1960 : «  le jean symbolise la révolte de la jeune génération. On l'associe au blouson noir et à la Harley, c'est le phénomène « adolescent » et il sera même interdit dans les écoles aux États-Unis »

p. 18 - « Si j’en ai, des bloudjinnzes, dit le pucier, je veux que j’en ai. » : Un pucier est un marchand du marché aux puces.

p. 19 - « Les lamellibranches qui ont résisté à la cuisson sont forcés dans leur coquille » : les lamellibranches sont les moules.

20 - « fallait se garer de lui, parce que le chat lui-même y aurait passé. Comme dans la chanson » : la chanson en question, c'est bien sûr les Trois Orfèvres.

20 - « Sanctimontronais » : originaire de Saint-Montron, la ville de Zazie. Mot forgé par Queneau.

p. 22 - « Ah ! les jitrouas » : lire J3. Pendant la guerre les cartes de rationnement comportaient un code dépendant de l’âge, depuis « E », enfants de moins de trois ans, jusqu’à V, vieillards (sic) de plus de 70 ans en passant par les J3, jeunes de 13 à 21 ans. Chaque catégorie avait droit à une ration d’alimentation spécifique. Les J3 jouissaient d’une très mauvaise réputation, comme tous les adolescents à toutes les époques...

p. 23 - « Je suis connu sous le nom de Pedro-surplus » : confusion volontaire de Queneau. Pedro-surplus n’est pas celui qui a suivi Zazie et qui vient de la raccompagner, c’est le vendeur du marché aux puces.

p. 26 - « chsuis aussi bonne que Michèle Morgan dans La Dame aux camélias » : erreur de Zazie, c’est en réalité Micheline Presle qui jouait dans La Dame aux Camélias.

p. 26 - « […] éonisme, hypospadie balanique » : délits réels ou imaginaires. L’éonisme est le goût pour le travestissement (du nom du chevalier d'Éon) ; l’ hypospadie balanique est une malformation du gland.

p. 26 - « - Ça sera quoi ? lui demanda Turandot.

- Un remontant, répondit le type avec à-propos » : le type, venant d’être jeté en bas des escaliers, demande donc un « remontant ».

p. 27 - « sa main tremble, il en fout à côté des flaques brunâtres qui émettent des pseudopodes qui vont s’en allant souiller le bar » Les pseudopodes sont des appendices allongés et rétractiles utilisés par certaines cellules pour se déplacer en rampant, un peu à la manière des escargots.

p. 27 - « Le type suppe paisiblement son remontant » : supper = siroter. Verbe onomatopéique forgé par Queneau, qui imite un bruit de succion. Il apparaît plusieurs fois dans le texte.

p. 27 - « – Qu’est-ce qu’il a fait ? demande l’autre négligemment.

L’esstéo, répond l’aubergiste » : en 1943 le gouvernement de Vichy instaura le STO (Service du Travail Obligatoire). Plusieurs centaines de milliers de travailleurs français furent réquisitionnés et envoyés en Allemagne, afin de participer à l’effort de guerre allemand.

p. 28 - « […] embaumant le bistro d’ambre lunaire et de musc argenté » : l’ambre lunaire fait évidemment référence à l’ambre solaire, le musc argenté peut-être au musc blanc, mais c’est beaucoup moins sûr.

p. 28 - « Les midineurs arrivaient » mot valise formé sur « midi » et « dîneurs », ceux qui déjeunent.

p. 29 - « Je croyais que c’était des tripes aujourd’hui, dit Gridoux […] Mado Ptits-pieds haussa les épaules. Tripes ? Mythe ! Et Gridoux le savait bien » : il y a manifestement un jeu de mots, mais j’ai été incapable de le déchiffrer.

p. 30 - « Alors on tire un coup sur les marches du palais. » : peut-être une allusion à la chanson Aux Marches du Palais : « La belle si tu voulais nous dormirions ensemble ».

p. 31 - « Ne sutor ultra crepidam » : proverbe latin qui signifie « cordonnier, pas au-delà de la chaussure », c’est-à-dire qu’il faut s’abstenir de porter des jugements sur des sujets qui sont en dehors de son domaine de compétence. Selon Pline, un cordonnier avait signalé au peintre grec Apelle une erreur dans la représentation d'une sandale. Le peintre corrigea son œuvre. Encouragé, le cordonnier commença à faire d'autres remarques sur d'autres erreurs qu'il pensait avoir décelé dans cette peinture, ce à quoi Apelle répondit : ne sutor ultra crepidam.

p. 31 - « Usque non ascendam anch’io son pittore adios amigos amen » : salmigondis d’expressions diverses dans plusieurs langues. Usque non ascendam : en latin, « jusqu’où ne monterai-je pas ? » qui était la devise de Fouquet. Anch’io son pittore : en italien, « et moi aussi je suis peintre ! » C’est ce qu’aurait dit le peintre le Corrège, rempli d’admiration et d’ambition, alors qu’il n’était encore qu’apprenti, en voyant un tableau de Raphaël.

p. 31 - « Il ajouta ces mots ailés » : célèbre expression homérique.

p. 34 - « Ils regardèrent alors en silence l’orama » : en grec ancien « orama » signifie : « ce que l’on voit », « spectacle ». En français, c’est le suffixe de plusieurs noms : « panorama », « diorama », « diaporama », etc.

p. 34 - « puis Zazie examina ce qui se passait à quelque trois cents mètres plus bas » : c’est de façon détournée que l’on apprend que Zazie est en haut de la tour Eiffel.

p. 35 - « Je l’ai lu dans le Sanctimontronais du dimanche, un canard à la page même pour la province où ya des amours célèbres, l’astrologie et tout » : les Amours célèbres étaient une bande dessinée publiée dans France-Soir pendant les années 1950-1970.

p. 36 - « Gabriel lui tape sur l’épaule avec bénévolence » : « bénévolence » = bienveillance. Mot rare et ancien qui ne figure pas dans le dictionnaire de l’Académie française.

p. 36 - « Debout, Gabriel médita, puis prononça ces mots : l’être ou le néant, voilà le problème » : allusion au livre de J.P. Sartre : l’Être et le Néant, mais aussi à Shakespeare : « être ou ne pas être telle est la question »

p. 37 - « ma nièce suspendue à trois cents mètres dans l’atmosphère. » : allusion à la chanson le Père Dupanloup.

p. 37 - « Male bonas horas collocamus si non dicis isti puellae the reason why this man Charles went away » : Nous perdons notre temps si tu ne dis pas à cette enfant la raison pour laquelle Charles est parti (traduction non garantie), le début est en latin, la fin en anglais.

p. 37 - « mêle-toi de tes cipolles » : « occupe-toi de tes oignons ». En italien, oignon se dit cipolla .

p. 37 - « Oh ! mais, s’écria Zazie, voilà maintenant que tu sais parler les langues forestières » : Zazie confond peut-être avec la langue de bœuf forestière qui est une préparation culinaire.

p. 37 - « C’est alors que Fédor Balanovitch fit son apparition » : Balanovitch vient du grec balanos, gland et du russe vitch, « fils de ». Littéralement, « fils de gland ».

p. 38 - « un flic, préposé aux voies du silence » : allusion aux Voix du Silence d’André Malraux, paru en 1951.

p. 38 - « Les admirateurs de Gabriel […] munis d’appareils adéquats, mesuraient le poids de la lumière afin de lui tirer le portrait avec des effets de contre-jour » : naguère le temps de pose n’était pas calculé directement par les appareils photo comme maintenant. On utilisait des instruments séparés, appelés posemètres, qui mesuraient la luminosité d’une scène.

p. 38 - « il s’arrache au cercle enchanté des xénophones » : xénophones = « qui parlent une langue étrangère » (xéno-phones). Mot forgé par Queneau.

p. 38 - « le véhicule aux lourds pneumatiques » : allusion à Homère : « Le fils de Tydée le contourna, contrôlant ses chevaux aux lourds sabots. »

p. 39 - « A droite vous allez voir la gare d’Orsay » : à l’époque la gare d’Orsay n’avait pas encore été transformée en musée et son intérêt était discutable.

p. 39 - « ils contemplaient avec émotion l’archiguide Gabriel » : de même que le Gabriel céleste est un archange, de même le Gabriel terrestre est un archiguide...

p. 39 - « On veut ouïr, on veut ouïr, ajoutèrent-ils en un grand effort berlitzscoulien » : ouïr = les « j » sont peut-être sous-entendus... Berlitzscoulien  est un mot forgé par Queneau: Berlitz + scool (école Berlitz)

p. 40 - « il ne se souciait que de mener ses agneaux [...] avant l’heure où les gardiens de musée vont boire » : allusion à Booz endormi de Victor Hugo : « C'était l'heure tranquille où les lions vont boire. »

p. 40 - « Gibraltar aux anciens parapets.Tel était leur itinéraire. » : la formule revenant quatre fois dans le texte, il y a forcément une allusion. Probablement à Rimbaud, Le Bateau ivre : « Je regrette l’Europe aux anciens parapets ! »

p. 42 - « Montjoie Sainte-Chappelle » : déformation du célèbre cri de guerre « Monjoie Saint-Denis ».

p. 42 - «c’est bien pour ça que je crie : aux guidenappeurs, aux guidenappeurs. » : Gabriel étant guide, il a été « guide-nappé ».

p. 43 - « Montrez-nous vos talents, qu’elle lui dit en accompagnant ces mots d’une œillade aphrodisiaque et vulcanisante » : la vulcanisation est une opération chimique destinée à rendre le caoutchouc plus élastique. « Aphrodisiaque » est dérivé d’Aphrodite, déesse de l’amour chez les Grecs. L’équivalent chez les Romains était Vénus dont le mari était Vulcain, d’où « vulcanisante ».

p. 44 - « elle le regarda d’un œil humide et thermogène » : thermogène = qui fait monter la température. Dans le temps, on utilisait la ouate thermogène en guise de cataplasme. Elle était très connue grâce à la célèbre affiche publicitaire de Cappiello.

p. 44 - « Les deux roues motorisées accrurent la décibélité de leur vacarme » : la décibélité = le bruit. Le bruit se mesure en effet en décibels.

p. 45 - « Ma parole,[…] on dirait qu’il a fini par réquisitionner un voiturin » : jadis un voiturin était une voiture attelée.

p. 46 - « Ils avaient tout juste parcouru une distance de quelques toises » : une toise = environ deux mètres. Ils n’avaient donc pas fait beaucoup de chemin.

p. 47 - « Ça faut avouer, dit Trouscaillon qui, dans cette simple ellipse, utilisait hyperboliquement le cercle vicieux de la parabole » : Queneau cite les trois coniques, figures géométriques, qui sont également des figures de style : l’ellipse, la parabole et l’hyperbole. Quant au cercle c’est un cas particulier de l’ellipse.

p. 48 - « A la terrasse du Café des Deux Palais » : cet établissement existe toujours, 3 boulevard du Palais, à côté de la Sainte Chapelle.

p. 48 - « […] le silence des espaces infinis, l’odeur des choux-fleurs[...]» : le silence des espaces infinis est une allusion à la pensée de Blaise Pascal : « le silence éternel de ces espaces infinis m'effraie ».

p. 50 - « st’urbe inclite qu’on vocite Parouart » : Cette phrase en latin francisé est inspirée de Rabelais : « l'alme, inclyte et célèbre académie que l'on vocite Lutèce » (Pantagruel). Urbe = urbs, ville ; inclite = inclitus, célèbre ; vocite = vocito, appeler. Parouart était le surnom que Villon avait donné à Paris.

p. 50 - « quinze billards, vingt pimpons » : vingt ping-pongs.

p. 51 - « [...] dans la salle de café du Vélocipède boulevard Sébastopol » : cet établissement existe toujours, 79 boulevard Sébastopol.

p. 51 - « quelques halliers déjà s’humectaient le tube ingestif avant de charrier leurs légumes » : les halliers désigne les hommes qui travaillent aux halles. A l’époque, celles-ci se trouvaient dans le premier arrondissement de Paris.

p. 51 - « la brasserie du Sphéroïde » : peut-être la brasserie du Globe ? C’est en effet un nom d’établissement très répandu.

p. 51 - « car la réponse était percontative » : percontative  = interrogative.

p. 51 - « une foule avide de camomille et de pâté de campagne, de berlingots et de semen-contra » : le semen-contra est une plante utilisée en herboristerie.

p. 52 - « elle avait encore dix minutes à attendre son fligolo » : fligolo, mot valise : flic + gigolo.

p. 53 - « Gabriel qui venait de louper un queuté-six-bandes » : au billard, un queuté n’est pas un coup remarquable, c’est au contraire une faute sanctionnée de deux points de pénalité.

p. 53 - « La boule motrice était située en f2, l’autre boule blanche en g3 et la rouge en h4 » : il s’agit d’une parte de billard mais la position des boules est indiquée en utilisant la notation des échecs. Cette notation est astucieuse: le billard est divisé par la pensée en 64 cases, comme un échiquier: 8 lignes et huit colonnes. La notation échiquéenne indique de façon assez précise la position des boules. On comprend donc que les trois boules sont alignées : blanche, blanche, rouge.

p. 53 - «Gabriel s’apprêtait à masser et, dans ce but, bleuissait son procédé » : Un « massé » consiste à donner une trajectoire curviligne à la boule. Pour cela, il faut que la queue soit presque verticale et il faut frapper la boule sur le côté. Le « procédé » est une lamelle de cuir fixé au bout de la queue ; il permet de donner de l’effet aux boules ; il doit être recouvert de craie pour éviter que la queue ne glisse sur la boule. La craie employée est traditionnellement de couleur bleue et s’appelle d’ailleurs un bleu.

p. 53 - « Le coup porté, déviant de sa juste application, s’en fut sabrer le tapis d’une zébrure qui représentait une valeur marchande tarifée par les patrons de l’établissement. Les voyageurs qui, sur des engins voisins, s’étaient efforcés de produire un résultat semblable sans y être parvenus, manifestèrent leur admiration. » : en réalité, Gabriel a raté son coup et a déchiré le tapis. Dans ce cas le joueur maladroit devait payer la réparation dont le tarif était affiché dans la salle (cf. le livre d’Elsa Triolet Le premier accroc coûte deux cents francs). C’est donc par ironie que Queneau prétend que les autres joueurs sont admiratifs.

p. 53 - « des garçons vêtus d’un pagne » : allusion à La chanson du mal-aimé d’Apollinaire : «Les cafés gonflés de fumée / Crient tout l'amour de leurs tziganes / De tous leurs siphons enrhumés / De leurs garçons vêtus d'un pagne ».

p. 53 - « des demis de bière enrhumés » : référence aux « siphons enrhumés » (cf. supra)

p. 53 - « une choucroute pouacre parsemée de saucisses paneuses, de lard chanci, de jambon tanné et de patates germées » : pouacre = malpropre ; paneux =qui a la consistance du pain, autrement dit farineux; chanci = moisi; tanné =de couleur brunâtre.

p. 54 - « vous croyez comme ça qu’on a fait plusieurs guerres victorieuses pour que vous veniez cracher sur nos bombes glacées ? » : allusion au roman de Boris Vian, J’irai cracher sur vos Tombes.

p. 54 - « Traître, dit le gérant exacerbé, hagard et trémulant » : trémulant = qui est agité d’un tremblement.

p. 59 - « On peut plus plaisanter, alors, dit Turandot d’une voix émolliente » : émolliente signifie « douce, apaisante ». cf. « un petit clystère insinuatif, préparatif, et rémollient », le Malade imaginaire.

p. 60 - « Faut voir un psittaco-analyste » : jeu de mots avec « psychanalyste », «psittakos» signifiant «perroquet» en grec.

p. 60 - « nous ne comprenons pas le hic de ce nunc, ni le quid de ce quod » : hic et nunc (ici et maintenant) est une expression latine classique (cf. supra « la liquette ninque »). Le quid de ce quod : une traduction très libre serait peut-être « le pourquoi du comment ». C’est la première fois que Laverdure dit autre chose que son sempiternel « tu causes, tu causes... ». Il fait preuve d’une érudition rare pour un perroquet.

p. 61 - « n’entendez-vous pas frissonner les gloxinias le long des épithalames ? » : les gloxinias sont des plantes à fleurs. Dans l’antiquité les épithalames étaient des poèmes composés à l’occasion d’un mariage.

p. 61 - « La piste du Mont-de-piété, la plus célèbre de toutes les boîtes de tantes de la capitale » : le Mont-de-piété, organisme de prêt sur gage, est familièrement surnommé « chez ma tante », d’où le nom de l’établissement.

p. 61 - « des disciples du cicéron Gabriel » : cicéron pour cicerone.

p. 62 - « Puis Gabriel tapa sur un verre avec un estracteur de gaz » : un extracteur de gaz, également appelé moser, est un petit fouet destiné à éliminer le gaz carbonique du champagne, ce qui provoque l’indignation des connaisseurs.

p. 62 - « Ce produit mellifluent, sapide et polygène » :mellifluent = qui a la douceur du miel; sapide = qui a du goût (contraire : insipide); polygène = mot fabriqué par Queneau à partir de « poly » : plusieurs, beaucoup, et « gène » : qui engendre. S’agissant de l’argent, sans doute signifie-t-il : qui peut produire beaucoup de choses.

p. 62 - « […] Adam que les Élohim tyrannisèrent comme chacun sait » : plaisanterie de Queneau, les Élohim désignant Dieu dans la Torah.

p. 62 - « ils obligeaient les ophidiens à mettre leurs jambes à leur cou »: les ophidiens sont des serpents.

p. 62 - « Go, femme » : par opposition à « go, homme » (Gabriel est travesti en danseuse), jeu de mots avec « go home ».

p. 63 - « On annonçait que le spectacle allait commencer par une caromba dansée par des Martiniquais tout à fait chous » : la « caromba » est un mot inventé par Queneau. Employé comme adjectif, « chou » est invariable, mais Queneau, qui ne pouvait l’ignorer, aime jouer avec les bizarreries de la langue française.

p. 64 - « Il désigne le buffet genre hideux » : fabriqués à la chaîne à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, les meubles de style Henri II, en particulier les buffets étaient très à la mode chez les petits bourgeois. En revanche pour ceux qui se piquaient d’élégance et de raffinement c’était le comble du mauvais goût. Le buffet « Henri II » devient donc pour Queneau un buffet « genre hideux .»

p. 64 - « Je suis l’inspecteur Bertin Poirée » : Bertin Poirée est le nom d’une rue parisienne.

p. 66 - « S’aidant des harpes le long de la descente » : les harpes sont des éléments d’architecture mais je n’en ai pas bien compris la définition. Il me semble que ce sont des blocs de maçonnerie en saillie.

p. 66 - « il attendait, mélancolieux, » : contrairement à ce que l’on pourrait penser, « mélancolieux » est un mot de la langue française. Il n’est toutefois pas attesté dans le dictionnaire de l’Académie française.

p. 69 - « Je vous emmène Aux Nyctalopes » : en français nyctalope signifie « qui voit la nuit ». Étant donné que Gabriel travaille dans un cabaret de travestis, l’étymologie serait plutôt nique-ta-lope...

p. 70 - « Ces vociférantes exclamations firent hors de l’ombre surgir deux hanvélos. » : à l’époque où se déroule le roman, il existait une patrouille de police dont les agents circulaient « en vélo », deux par deux. Ils étaient surnommés les « hirondelles », selon les uns parce que leurs bicyclettes étaient de la marque « Hirondelle », construites par Manufrance, selon d’autres parce que leurs capes qui flottaient au vent les faisaient ressembler aux oiseaux.

p. 70 - « Adspicez mon uniforme. Je suis flicard, voyez mes ailes. Et il agitait sa pèlerine. » : adspicez = du latin adspicio, regarder. La phrase fait allusion à la fable de La Fontaine, La Chauve-souris et les Deux Belettes : « je suis oiseau, voyez mes ailes.  ». On peut éventuellement y voir de plus une allusion aux hirondelles (cf. supra).

p. 70 - « ils sont doux comme l’hysope » : l’hysope est une plante potagère. Il en est question dans la Bible : « Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur » (psaume 51, verset 9)

p. 72 - « Zazie a rejoint Laverdure dans la somnie » : sommnie = sommeil, contraire d’insomnie.

p. 73 - « La vlà qui m’agonise maintenant » : faute de français classique, peu étonnante dans la bouche de Turandot, qui consiste à confondre « agonir » et « agoniser ».

p. 73 - « Gabriel s’esclaffait en voyant Turandot essayer de friser la jambe » : friser la jambe est un terme de danse qui signifie agiter les pieds avec vitesse tandis qu'on est en l'air.

p. 74 - « Tel le coléoptère attaqué par une colonne myrmidonne, tel le bœuf assailli par un banc hirudinaire » : ces deux analogies sont une référence aux comparaisons homériques. Une colonne myrmidonne = une colonne de fourmis (du grec « murmex », fourmi). Les hirudinées sont des sangsues.

p. 74 - « Quelques jets aquagazeux » : quelques jets d’eau gazeuse.

p. 76 - « c’est moi, Aroun Arachide » : déformation d’Haroun Al-Rachid

p. 76 - « voyou noctinaute » : nocti-naute, mot forgé par Queneau = qui voyage la nuit (cf. astronaute, aéronaute, argonaute, internaute, etc.)..

p. 76 - « Maintenant, dit doucement le lampadophore » : dans la Grèce antique, un lampadophore était un porteur de flambeau.

p. 77 - « Elle marqua deux coins et redescendit sur le quai  » :cela veut sans doute dire que Jeanne Lalochère réserve deux places de coin dans le wagon, l'une pour elle, l'autre pour Zazie.

p. 77 - « Tiens, dit Jeanne Lalochère. Marcel. » : C'est la première fois, et à la toute fin du livre que Marcel est mentionné. Il s’agit du lampadophore dont il est question plus haut : celui-ci annonçait en effet qu’il ramènerait la petite et qu’il avait pris sa valoche.

Pour tous les commentateurs qui évoquent la question, il ne fait aucun doute que Marcel et Marceline ne font qu’une seule et même personne, ce qui confirmerait l’« hormosessualité » de Gabriel, mais aucun ne donne d’argument valable.

La similitude des prénoms Marcel/Marceline ne prouve rien. Il y a cependant un indice: lorsque Marceline parle, Queneau ajoute toujours « dit doucement Marceline », et ce, plusieurs dizaines de fois. De même pour le lampadophore : trois fois sur quatre il précise « il dit doucement ». Néanmoins il semble peu probable que Queneau l’ait oublié une fois.

Personnellement, mais cela n’engage que moi, il me paraît plus vraisemblable qu’il s’agisse d’un ultime pied de nez de Queneau afin que le lecteur reste dans le doute.