Ce texte en apparence très décousu obéit néanmoins à une règle
de construction très précise.
(Les solutions se
trouvent en dernière page)
Jean prétendait être
allé à l'autre bout du monde mais peut-être ne disait-il pas la
vérité. Il y aurait été prédicateur. Il avait quitté la France
à 17 ans car c'est pendant l’adolescence que les pérégrinations
sont les plus profitables. Grâce à sa hardiesse il avait amassé un
gros capital qui lui permettait
maintenant
de vivre à crédit, mais sa fortune ne le réjouissait pas
spécialement.
Il avait préparé son
canapé et il s'y allongea. Il faisait presque nuit; dans sa chambre
il vit une bestiole qui ressemblait, en plus petit, à une mygale: il
y vit un présage favorable (il la revit le lendemain de bonne heure
et en fut au contraire tout marri).
Il n'avait pas soupé
mais un bon somme remplace un repas. Tout était calme et il n'y
avait qu'un seul bruit : celui du carillon de l'église. Mais, soit
qu'il fût tourmenté par sa fringale, soit qu'il le fît exprès, il
ne le percevait pas. Dans l'obscurité, une silhouette un peu plus
claire se profilait. «Un matou, pensa-t-il». Pendant ce temps, au
grenier, la gent trotte-menu menait une sarabande infernale.
Cette période de
ténèbres avait été fertile en réflexions salutaires. Il sortit
de son lit de bonne heure et il envisageait le futur avec optimisme.
Le matou qu'il avait vu
la veille somnolait sur le palier : «mieux vaut ne pas troubler son
sommeil» se dit-il.
Il prit un petit
déjeuner copieux car plus il se nourrissait plus il avait faim: il
consomma d'abord une miche dont la farine ne contenait aucune trace
de son. Puis il prit quelques embryons de poule dont il brisa les
coquilles pour faire une brouillade. Dans la nuit on lui en avait
volé une corbeille dans sa remise. Heureusement il en avait une
autre dans la cuisine. Néanmoins l'incident l'avait mis de mauvaise
humeur : «si ça continue, vous verrez qu'ils finiront par dérober
des bovins !». Dans leur fuite les voleurs avaient laissé tomber la
corbeille dont le contenu s'était écrasé dans la cour : «ce genre
de larcins ne bénéficie jamais à leurs auteurs», énonça-t-il
sentencieusement. Puis il termina par quelques cuillerées de
marmelade dont les gorets n'avaient pas voulu.
La bourrasque qui avait
soufflé fort toute la nuit s'était calmée pour laisser place à un
léger crachin. «A cette heure-ci, ce n'est pas une averse qui va
m'empêcher de sortir», dit-il en enfilant son imperméable.
Celui-ci était déchiré et il le raccommoda avec de la fibre de
coton très clair. «D'ailleurs après cette averse il y aura
forcément une embellie.»
Il avait décidé
d'aller à la chasse. Avant de partir il fit une provision de gâteaux
secs et emporta une williams dont le pouvoir désaltérant est bien
connu. Il siffla son setter, une bête qui avait un pedigree et qui
n'avait pas son pareil pour débusquer le gibier.
A peine était-il arrivé
qu'une hase fila devant lui. Il se lança à sa poursuite et il était
sur le point de la rattraper (il fonçait à toute allure car étant
jeune il avait subi une splénectomie) «elle est à moi ! elle est à
moi !» se disait-il (il eût été préférable qu'elle fût dans sa
gibecière!), lorsqu'une deuxième hase déboula presque entre ses
jambes. Il décida de suivre cette nouvelle piste. Peu de temps
après, la première hase revint devant lui et changeant à nouveau
d'idée il se remit à sa poursuite. A la fin, hors d'haleine et
bredouille, il abandonna.
Puis des jocasses
s'envolèrent. Fatigué par sa course, il visa mal et les rata. Il se
rattrapa peu de temps après en tuant plusieurs turdidés noirs (les
cas d'albinisme sont rares chez ces oiseaux). Leur chair était moins
fine que celle des jocasses mais rien
ne sert de désirer ce que l’on n’a pu obtenir,
se dit-il avec philosophie.
En rentrant il fit un
détour pour éviter une mare stagnante dont la légende du village
disait qu'elle était dangereuse. Il passa par la forêt où il coupa
une branche d'arbre afin de s'en faire un pipeau.
Il traversa un champ où
paissaient des génisses étroitement surveillées par un bouvier
professionnel. «C'est un travail qui est loin d’être stupide»,
se dit-il. A côté, des animaux de labour poussaient une araire, ce
qui le fit beaucoup rire.
Il se trouva ensuite à
un carrefour d'où partaient quatre sentiers et il ne savait plus
lequel prendre. Il ne pouvait pas les emprunter tous les quatre à la
fois ! Il en choisit donc un au hasard et partit à toutes jambes,
mais ralentit immédiatement. «Il est encore tôt, à quoi bon se
hâter ? De plus quand on marche doucement, on est certain
d'arriver», se dit-il.
Il se retrouva dans une
petite localité située non loin de chez lui. Il était fourbu et il
était encore à 5 kilomètres de son
domicile. Heureusement il rencontra Jacques, une
vieille connaissance qu'il n'avait pas vu depuis 20 ans et qui le
ramena en voiture.
Ils longèrent quelques
petits cours d’eau dont les eaux finissaient leur cours dans la
Loire.
Il était ravi d'avoir
revu cet ami qu'il n'aurait jamais rencontré s'il ne s'était perdu
: sa mésaventure comportait donc
un aspect positif.
Devant sa maison, il
constata avec désappointement que l'endroit où il avait l'habitude
de garer sa voiture avait été occupé pendant qu'il traquait le
gibier.
Arrivé chez lui, il
regarda la pendule qui était au-dessus de l'entrée : elle marquait
douze heures.
Puis il alla chez le
boulanger, mais celui-ci n'était pas devant son appareil de cuisson.
«c'est donc qu'il est à la minoterie» se dit-il. Arrivé à la
minoterie il trouva une coiffe qui avait été lancée en l’air et
qui après avoir survolé le toit avait atterri au pied du bâtiment.
«Était-ce une coiffe blanche ou une blanche coiffe» ? Se
demanda-t-il. Il ne faisait pas trop la différence. En tout cas elle
n'était pas assez grande pour abriter deux crânes en même temps.
Au retour il croisa
Mathurin, l'idiot du village qui lutinait une luronne; elle était
fort laide mais la passion n’a pas bonne vue; la fille, malgré son
corset vermeil n'avait pas bonne réputation; son opulente poitrine
emplissait les paluches du simple d'esprit. Mathurin bécota sa conquête
avec tant de fougue qu'il ne réussit pas à l'enlacer correctement.
Enfin, voulant pousser plus avant son avantage il la renversa le
fourneau ; mais celui-ci était encore chaud et la malheureuse
se brûla les fesses.
A l'entrée du village
il aperçut une épaisse vapeur noire. «Il y forcément un incendie»
se dit-il. En effet une grange était en flammes. Des hommes
essayaient d'éteindre le feu mais l'un d'eux, croyant jeter un seau
d'eau, se trompa et lança un seau plein de liquide gras et
inflammable dans le brasier qui repartit de plus belle.
Des fétus de chaume
volaient dans tous les sens. L'un d'eux atterrit sur la paupière de
l'un des pompiers. Jean voulut l'en débarrasser, mais dans sa hâte,
il ne remarqua pas un madrier qui dépassait et qui le blessa à la
pupille. Heureusement ces incendies de chaume ne durent jamais
longtemps.
En traversant le
village, il salua tout le monde : le savetier dont il constata avec
amusement que ses souliers hors d'usage baillaient comme huîtres au
soleil; le bougnat dont on disait que c'était un tyran domestique;
l'ouvrier en bâtiment qui était à douze pouces de sa façade; le
teinturier qui travaillait avec toute sa parenté. Enfin le
forgeron : ils discutèrent quelque temps. Jean lui demanda :
«au fait, comment as-tu appris ton métier ?» «Sur le tas» lui
répondit-il avant l'interrompre aussitôt : «c'est pas tout ça,
mais il faut que je finisse mon travail, le métal est en train de
refroidir».
Jean croisa ensuite un
homme en haillons qu'il prit d'abord pour un mendiant, mais qui en
réalité était un cordelier des environs auquel sa robe de bure
rapiécée donnait un aspect misérable.
Il alla rendre visite à
son ami Leroi qui avait épousé une de ses cousines par alliance et
auquel il donnait des «cousin» longs comme le bras. Mais en réalité
Leroi n'était pas le fils de sa tante. Cette dernière était
d’ailleurs là et seul un détail empêchait Jean de lui dire
« tonton ».
Il entra dans le café
du village : la mélodie diffusée dans l'établissement calma
vite sa mauvaise humeur.
Sur la terrasse se
pressaient un groupe de jeunes femmes bien en chair.
Il y avait un
attroupement devant la maison du père Mathieu. Le vieux venait de se
suicider, attaché à une poutre. Après s'être recueilli quelques
instants, Jean lâcha étourdiment : «je viens de casser ma
ceinture, quelqu'un aurait-il un morceau de ficelle pour la remplacer
?». Sa phrase fut accueillie par un murmure désapprobateur.
En passant devant une
écurie, il entendit un grand tohu-bohu: c'était les baudets qui se
querellaient. Il en comprit vite la raison : il n'y avait plus
d'herbe sèche dans la mangeoire.
La roulotte d'un cirque
emprunta la grand’rue au milieu des cris furieux de tous les mâtins
des alentours, avant de s'arrêter sur la place du village. Jean
emmena son petit neveu voir le spectacle.
Un prestidigitateur
ouvrait un casier dans le quel on voyait une marionnette bossue. Il
fermait le casier et l'ouvrait à nouveau : la marionnette avait
disparu ! « comment fait-il ? » demanda l'enfant à son oncle. «
Ce n'est pas un mystère et le truc est connu de tout le monde »
répondit ce dernier.
Ce fut ensuite le tour
des animaux savants : une guenon remarquable de dextérité et
d'intelligence. Elle était assez âgée et son dresseur avait
renoncé à lui apprendre de nouvelles mimiques. Un pachyderme se
souvenait encore des tours qu'il avait appris 30 ans auparavant. La
veille, déjouant la surveillance de son gardien, il s'était échappé
de son enclos et pris d'une fureur subite, il avait fracassé la
devanture d'une boutique de céramiques.
Un grizzli allait et
venait sans cesse derrière ses barreaux. Son propriétaire en
avait cédé la fourrure qui devait être livrée après la mort de
l’animal. Ensuite ils purent admirer un caméléopard à la robe
soigneusement brossée.
Puis vint une sorte de
petit cheval africain dont la robe était striée de rayures blanches
et noires. Il fit mille contorsions comiques qui amusèrent le public
avant de d'élancer à une vitesse incroyable : trois fois celle
d'un cheval normal. Il continua de courir à toute allure autour de
la piste.
En rentrant chez lui
Jean fut content de retrouver sa modeste maison où il se sentait
beaucoup plus à l'aise que dans l'immense bâtisse de son ami Leroi.
Il alluma la télé : on
passait un western. Les indiens qui avaient été vaincus dans un
premier temps faisaient leur «come back» en chevauchant leurs
mustangs à bride abattue. Il changea de chaîne : c'était le film
«Titanic». Il regarda avec émotion la séquence où la
troupe des jeunes danseuses s'échappe du paquebot. Mais ce qu'il
préférait avant tout c'était les films muets, car pour lui les
plus beaux dialogues ne pouvaient que gâter une bonne intrigue.
Ensuite il prépara son
dîner (inutile d'attendre une hypothétique et miraculeuse pluie de
mauviettes cuites au four!) :
–
Un excellent consommé qu'il fit cuire dans une marmite très vétuste
fermée par une plaque parfaitement adaptée; il y avait ajouté un
rognon blanc que son boucher avait violemment battu et brisé afin de
l’attendrir.
–
Une salade de pieds de dents-de-lion.
–
Un poisson serpentiforme qu'il avait pêché sous un gros caillou.
Une vinaigrette relevée en masquait le léger goût de vase.
–
Un croupion de volaille farci avec du museau de bœuf au milieu d’un
plat de pâtes.
–
Une assiette de gariguettes qu’il avait saupoudrées de cassonade.
Il n'y avait personne avec lui, ce dont il se réjouissait car il était d'un naturel peu sociable.
Il accompagna son repas d'un pichet de bourgogne qu'il fallait finir car il ne se garderait pas très longtemps hors du tonneau. Mais en portant son verre à sa bouche, il fit un geste maladroit et en renversa une bonne partie.
Il accompagna son repas d'un pichet de bourgogne qu'il fallait finir car il ne se garderait pas très longtemps hors du tonneau. Mais en portant son verre à sa bouche, il fit un geste maladroit et en renversa une bonne partie.
SOLUTIONS
On l'aura compris, la
règle consiste à paraphraser des proverbes ou des expressions
connues sans jamais en employer un mot, ni même un mot de la même
famille.
Liste
des proverbes ou expressions auxquels il est fait allusion dans le
texte.
- Titre : du coq à l’âne
- A beau mentir qui vient de loin.
- Nul n’est prophète en son pays.
- Les voyages forment la jeunesse.
- La fortune sourit aux audacieux.
- On ne prête qu’aux riches.
- L'argent ne fait pas le bonheur.
- Comme on fait son lit, on se couche.
- Araignée du soir , espoir; araignée du matin, chagrin. « il en fut tout marri » = « il en fut tout chagrin »
- Qui dort dîne.
- Qui n'entend qu'une cloche n'entend qu'un son.
- Ventre affamé n’a point d’oreilles.
- Il n’est pire sourd que celui qui ne veut pas entendre.
- La nuit, tous les chats sont gris.
- Quand le chat n’est pas là, les souris dansent.
- La nuit porte conseil.
- L’avenir appartient à ceux qui se lèvent tôt.
- Il ne faut pas réveiller le chat qui dort.
- L'appétit vient en mangeant.
- Manger son pain blanc le premier.
- On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs.
- Il ne faut pas mettre tous ses œufs dans le même panier.
- Qui vole un œuf vole un bœuf.
- Bien mal acquis ne profite jamais.
- Donner de la confiture aux cochons.
- Petite pluie abat grand vent.
- La pluie du matin n'arrête pas le pèlerin.
- C'est cousu de fil blanc.
- Après la pluie le beau temps.
- Il ne faut pas s’embarquer sans biscuit.
- Il faut garder une poire pour la soif.
- Bon chien chasse de race.
- Courir comme un dératé. La splénectomie est l'ablation de la rate.
- Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras.
- Il ne faut pas courir deux lièvres à la fois. La hase est la femelle du lièvre.
- C'est un merle blanc. les merles font partie de la famille des turdidés.
- Faute de grives, on mange des merles. Les jocasses sont des grives.
- Á défaut d'avoir ce que l'on veut, il faut se contenter de ce que l'on a.
- Il faut se méfier de l'eau qui dort.
- Être du bois dont on fait les flûtes.
- A chacun son métier et les vaches seront bien gardées.
- Il n'y a pas de sot métier.
- Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs.
- Il ne faut pas y aller par quatre chemins.
- Rien ne sert de courir, il faut partir à temps.
- Qui va lentement va sûrement.
- Les petits ruisseaux font les grandes rivières.
- A quelque chose malheur est bon.
- Qui va à la chasse, perd sa place.
- Chacun voit midi à sa porte.
- On ne peut être à la fois au four et au moulin.
- Jeter son bonnet par dessus les moulins.
- C'est bonnet blanc blanc bonnet.
- Deux têtes sous le même bonnet.
- L'amour est aveugle.
- Bonne renommée vaut mieux que ceinture dorée.
- Aux innocents les mains pleines.
- Qui trop embrasse mal étreint.
- Avoir le feu au cul.
- Il n'y a pas de fumée sans feu.
- Il ne faut pas jeter de l’huile sur le feu.
- On voit la paille dans l’œil de son voisin et non la poutre dans le sien.
- Ce n'est qu'un feu de paille.
- Les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés.
- Charbonnier est maître chez soi.
- C’est au pied du mur qu’on voit le maçon. Un pied = 12 pouces.
- Il faut laver son linge sale en famille.
- C'est en forgeant qu’on devient forgeron.
- Il faut battre le fer pendant qu'il est chaud.
- L'habit ne fait pas le moine.
- Le roi n’est pas son cousin
- Si ma tante en avait, on l’appellerait mon oncle.
- La musique adoucit les mœurs.
- Il y a du monde au balcon.
- Il ne faut pas parler de corde dans la maison d’un pendu.
- Quand il n’y a plus de foin au râtelier, les ânes se battent.
- Les chiens aboient mais la caravane passe.
- Avoir un polichinelle dans le tiroir.
- C'est un secret de polichinelle.
- Adroit comme un singe.
- Malin comme un singe.
- Ce n'est pas aux vieux singes qu'on apprend à faire des grimaces.
- Une mémoire d'éléphant.
- Un éléphant dans un magasin de porcelaine.
- Tourner comme un ours en cage.
- Il ne faut pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué.
- Peigner la girafe. Le caméléopard est l’ancien nom de la girafe
- Un drôle de zèbre.
- Partir au triple galop.
- Filer comme un zèbre.
- Un petit chez soi vaut mieux qu'un grand chez les autres.
- Chassez le naturel, il revient au galop.
- Les rats quittent le navire.
- La parole est d’argent mais le silence est d’or .
- Il attend que les alouettes lui tombent toutes rôties dans le bec. Les mauviettes sont des alouettes.
- C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes.
- Chaque pot a son couvercle.
- Il y a une couille dans le potage. Les rognons blancs sont des testicules d’animaux.
- Casser les couilles.
- Une couille molle.
- Manger les pissenlits par la racine.
- Il y a anguille sous roche.
- La sauce fait passer le poisson.
- Avoir la tête dans le cul.
- Avoir le cul bordé de nouilles.
- Sucrer les fraises.
- Mieux vaut être seul, que mal accompagné.
- Quand le vin est tiré, il faut le boire.
- Il y a loin de la coupe aux lèvres.