De mon temps
Médor couchait dans sa niche hiver comme été. Piètre chien de chasse, il avait en revanche un flair extraordinaire pour repérer les voleurs de poule : à 100 mètres il était capable de distinguer un romanichel d’un garde champêtre.
Aujourd’hui
Médor est vautré dans le lit de ses maîtres, emmitouflé dans des couvertures de mohair. Gavé de croquettes bios riches en oméga 3, il a perdu son instinct de bête sauvage : il lèche la main des arabes et mord les mollets du facteur auvergnat.
De mon temps
Toto était dans la grange avec la petite voisine. Il y étudiait l’anatomie comparée selon la méthode expérimentale. Quand il sera grand, il sera docteur.
Aujourd’hui
Toto arpente les allées du parc José Bové de Sarcelles sous la direction de son professeur de SVT. Il y étudie la vie sexuelle du cloporte des villes dans le cadre du projet éducatif : « biodiversité des milieux urbains défavorisés ». Quand il sera grand, il sera défenseur de l’environnement.
De mon temps
Nous déclamions Le Cid avec emphase :
Nous partîmes cinq cents, mais par un prompt renfort,
Nous nous vîmes trois mille en arrivant au port.
Aujourd’hui
Les enfants racontent Le Cid :
En faite, on n’aitai 500 mai a cose d’1 ranfor
En faite, on n’aitai 3000 sur le porc
De mon temps
La bonne s’occupait de tout dans la maison : lessive, repassage, vaisselle, cuisine, courses, argenterie, carreaux : aucune tâche ménagère qui lui échappât. De plus elle ne rechignait pas à remplacer Madame lorsque celle-ci était indisponible et que Monsieur était d’humeur badine.
Aujourd’hui
Les 32 appareils ménagers qui ont remplacé Célestine sont loin d’en avoir la polyvalence.
De mon temps
Chère Madame,
Camille se joint à moi pour vous adresser nos plus vifs et nos plus sincères remerciements pour la délicieuse soirée que nous avons passée dans votre ravissante demeure de Saint-Germain.
Tout fut parfait : la succulence des mets (Eugénie, votre fidèle cuisinière, s’est encore surpassée et son lièvre à la royale était une pure merveille) auxquels s’accordaient parfaitement la finesse et l’arôme des vieux bourgognes. Le dîner fut un festival de bons mots, de saillies ingénieuses, d’aperçus originaux. Il semblait que vous eussiez invité tous les beaux esprits du canton, pour ne pas dire du département. Comme on se sent médiocre au milieu de personnes aussi brillantes!
Monseigneur de la Boulaie fut impayable dans sa caricature féroce mais oh combien lucide des socialistes. Son imitation de François Miterrand était à se tordre de rire. Que de modernité chez cet homme d’église !
En attendant le plaisir et l’honneur de vous revoir, je vous prie d’agréer, chère Madame, l’expression de mes respectueux hommages.
Aujourd’hui
G bi1 kifé la teuf IR surtou kan momo il a montrer sa bite MDR
De mon temps
L’ouvrier travaillait 55 heures par semaine pour un salaire de misère.
Membre actif du parti communiste, son idole était Maurice Thorez dont il apprenait les discours par cœur.
En fin de semaine, après avoir vendu l’Humanité Dimanche sur la place du marché, il se retrouvait au café « Chez Bébert » avec ses camarades de cellule. Il y préparait activement la révolution prolétarienne. Ses deux sources d’inspiration étaient Le Capital de Karl Marx qu’il n’avait pas lu et le beaujolais qu’au contraire il connaissait très bien. Après la troisième chopine, il avait trouvé le socle de son programme politique qu’il braillait d’une voix pâteuse : « j’encule les bourgeois ! ».
Aujourd’hui
L’employé fait la queue pendant des heures à Pôle emploi pour toucher une indemnité dérisoire.
Passionné de football, supporter du PSG, son idole est l’attaquant N’Dialou N’Guessou, le Mozart du ballon rond. Il a enregistré tous ses matches, qu’il repasse à longueur de journée.
Le dimanche, il regarde à la télévision le match du PSG. Au troisième but de l’OM qui correspond à peu près à sa dixième cannette de bière, il manifeste son amour du beau jeu en braillant d’une voix pâteuse : « enculé d’arbitre ! ».
De mon temps
Au quatrième étage habitaient M. Lambert et son neveu Frédéric, un jeune homme imberbe, grassouillet, blondinet, frisotté, parfumé, aux manières précieuses. Son neveu : ça, c’était la version officielle, car dans l’immeuble une tout autre histoire circulait de bouche à oreille.
Évidemment personne n’adressait la parole à M. Lambert si ce n’est pour lui demander ironiquement des nouvelles de son neveu, en insistant lourdement sur le mot « neveu » pour montrer que l’on n’était pas dupe.
Les enfants, surtout les garçons, avaient interdiction de lui parler.
Parfois, par la porte entr’ouverte de son appartement, on apercevait un salon rose bonbon en faux Louis XV qui était la risée de l’immeuble. De l’avis général c’était le summum de la vulgarité et du mauvais goût.
Aujourd’hui
Au quatrième étage habitent M. Martin et son mari Gilbert.
Leur distinction et leurs bonnes manières leur valent l’admiration et la considération générales. Tout le monde les salue avec respect et les enfants les adorent.
Ils font volontiers visiter leur appartement élégamment décoré : en particulier leur salon rose fuchsia de style Louis XV est l’objet de tous les éloges. De l’avis général c’est le summum du raffinement et du bon goût.
De mon temps
Ma mère achetait pour deux anciens francs de magnifiques laitues à la marchande des quatre saisons.
L’usage des pesticides étant inconnu à cette époque, il fallait nettoyer très soigneusement les salades pour en éliminer les innombrables bestioles qui y pacageaient.
Aujourd’hui
Ma belle-fille achète pour huit euros des salades bios jaunâtres, grosses comme une pomme, garanties sans herbicides, sans pesticides et sans engrais chimiques. Il s’agit d’une variété ancienne dont la culture a été abandonnée depuis des lustres, gage de qualité supérieure.
Elle a fait un scandale le jour où elle y a trouvé une fourmi.
De mon temps
Monsieur était au bordel.
Aujourd’hui
Monsieur surfe sur Internet.
De mon temps
Le médecin auscultait son patient pendant vingt minutes, puis griffonnait une ordonnance en trente secondes.
Aujourd’hui
Le médecin examine son patient pendant trente secondes, puis pianote sur son ordinateur pendant vingt minutes.
De mon temps
Mon oncle lisait Rivarol, militait au mouvement « Croix-de-Feu » et fustigeait les rastaquouères, les invertis et la décadence des nouvelles générations.
Aujourd’hui
Mon beau-frère lit Minute, milite au Rassemblement National et fustige les bougnoules, les pédés et la décadence des nouvelles générations.
De mon temps
Lorsque Toto faisait une sottise, la sanction était rapide et sans appel. Elle ne dépendait pas de la gravité de la faute, mais seulement du taux d’alcoolémie du père. Elle allait de la simple paire de claques à la raclée à coups de ceinturon. Ayant rapidement établi les rapports de cause à effet entre rentrée d’argent-alcoolémie-violences, Toto en avait déduit la base de sa morale : « Les jours de paie, point ne fauteras. »
Aujourd’hui
Lorsque Toto fait une connerie, ses parents vont consulter une pédopsychosophrologue. Après avoir longuement interrogé Toto et ses parents, le verdict est sans appel : l’enfant a un cœur d’or. Ses légères incartades sont facilement explicables : s’il vole de l’argent dans le portefeuille de sa mère, s’il a arrosé le chat d’essence avant d’y mettre le feu et s’il a tenté d’énucléer sa petite sœur avec une fourchette à escargots, c’est parce que c’est la seule manière qu’il a trouvé pour exprimer son amour pour les siens. En revanche le profil psychologique des parents est beaucoup plus inquiétant : la mère est narcisso-perverse tandis que le père est manifestement bipolaire. La pédopsychosophrologue leur a conseillé de suivre une thérapie de couple. Avec l’honnêteté foncière des gens de cette profession, elle ne leur a pas caché que le traitement serait long et surtout très coûteux. Toto en a déduit la base de sa morale : « Tant qu’il y aura des pédopsychosophrologues, fais ce que voudras. »
De mon temps
Nous n’avions qu’une seule crainte : celle d’une guerre nucléaire déclenchée par l’URSS.
Aujourd’hui
La liste des dangers s’est un peu allongée : pollution de l’air, particules fines, réchauffement climatique, explosion d’une centrale nucléaire, pesticides, herbicides, OGM, glyphosate, gluten, perturbateurs endocriniens, métaux lourds, bisphénol, acariens, ondes électromagnétiques des téléphones portables, nanoparticules, disparition des abeilles et des écosystèmes, déforestation, marées noires, cataclysmes, inondations, sécheresses, ouragans, raz-de-marée, multinationales, vaccins, virus émergents, surpopulation, famines, extinctions de masse, malbouffe, aliments gras-salés-sucrés, huile de palme, charcuterie sous vide, édulcorants chimiques, glutamate, obésité, eau du robinet, pollution des océans, diminution des ressources naturelles, prolifération des cancers, gaz de schiste.
De mon temps
Dans les transports en commun, les enfants cédaient leur place au personnes âgées sous le regard attendri de leurs mères, fières d’avoir une progéniture aussi bien élevée.
Aujourd’hui
Dans les transports en commun, les enfants vissés sur leur siège dévisagent d’un air insolent les personnes âgées qui sont restées debout, sous l’œil ému de leurs mères, fières d’avoir une progéniture aussi délurée.
Demain
Dans les transports en commun, des panneaux rappelleront cette règle élémentaire du savoir-vivre : « Par courtoisie, les personnes âgées sont priées de céder leur place aux enfants et aux mineurs de moins de seize ans ».
De mon temps
Lorsque le pot de confitures était ouvert depuis plusieurs jours, quelques traces de moisissure apparaissaient en surface.
Armés d’une cuiller, nous raclions soigneusement la partie gâtée en ayant bien soin de ne pas entamer la couche saine pour limiter les pertes.
Aujourd’hui
Lorsque ma belle-fille aperçoit un point blanc dans ses confitures, elle jette le pot avec dégoût.
Elle milite activement dans une association écologiste qui lutte contre le gaspillage alimentaire.
De mon temps
Lorsqu’il y avait un blessé grave lors d’un accident de la route, on appelait les pompiers qui arrivaient toutes sirènes hurlantes.
Après avoir allongé le blessé sur une civière et posé un garrot au-dessus du membre déchiqueté pour éviter l’hémorragie, ils le transportaient d’urgence à l’hôpital.
Aujourd’hui
Lorsqu’il y a un blessé grave lors d’un accident de la route, on appelle la cellule psychologique d’urgence qui arrive toutes sirènes hurlantes.
Les spécialistes se précipitent vers ceux qui sont sortis indemnes et les entourent de soins attentifs pendant des heures.
Le blessé grave étant mort pendant ce temps, on l’évacue vers la morgue.
De mon temps
Nous nous amusions beaucoup du bon mot d’Henri Monnier : « On devrait construire les villes à la campagne, l’air y est tellement plus pur ! »
Aujourd’hui
On transfère la campagne dans les villes, en transformant les toits et les terrasses d’immeuble en terres agricoles.
On ne sait pas encore très bien comment y faire monter les bœufs de labour.
De mon temps
Les nègres avaient des anneaux dans le nez.
D’une incroyable naïveté, ces éternels grands enfants achetaient à prix d’or aux blancs de la verroterie de pacotille.
Aujourd’hui
Les blancs arborent d’élégants piercings incrustés dans leurs narines.
Esthètes raffinés et avertis, ils achètent à prix d’or aux marchands d’art africains qui tiennent commerce sous la tour Eiffel, de superbes masques dogons en résine fabriqués en Chine.
De mon temps
Clouée dans son fauteuil voltaire bancal, Mémé se momifiait lentement près de l’âtre, entourée de l’affection des siens.
Aujourd’hui
Mamie vit seule dans une lointaine maison de retraite de province, entourée de vieillards gâteux. Sa bru se ronge les sangs en pensant aux sommes folles dépensées pour son hébergement, alors qu’elle-même n’a pas les moyens de se payer une piscine dans sa maison de campagne. Elle prie le ciel pour qu’une issue fatale et rapide lui apporte enfin la piscine de ses rêves.
De mon temps
J’étais un jeune con.
Aujourd’hui
Je suis un vieux con…